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9 mars 2022

Témoignage : De l’importance de se former aux enjeux genre quand on est salarié-e d’une ONG

Récemment, Anne s’est formée à l’approche genre. Son objectif : mieux appréhender et mesurer les effets des interventions qu’elle accompagne à l’international sur les relations hommes-femmes. Une initiative en lien avec la résolution du Geres depuis 2014 : familiariser les salarié-es à l’inclusion sous toutes ses formes, pour qu’elle devienne un automatisme.

Interview et décryptage.

Anne Brukhanoff conseillère technique entreprenariat geres

Anne Brukhanoff

Au Geres, Anne fournit un appui technique pour renforcer les capacités de celles et ceux qui interviennent dans le champ de l’accompagnement à l’entreprenariat. Elle contribue également au suivi-évaluation, à la montée en compétences et à la visibilité du Geres sur les enjeux liés à l’entreprenariat durable.

Anne travaille actuellement sur un programme multi-pays regroupant le Maroc, le Mali, le Myanmar, la Mongolie et le Tadjikistan et dont l’objectif est de favoriser la dissémination de solutions énergétiques durables adaptées aux différents marchés locaux.

Q./ Depuis 2014, le Geres a à cœur d’intégrer l’approche genre dans sa stratégie d’action internationale. Peux-tu nous expliquer simplement ce que ça veut dire ?

A.B Alors, avant 2014, dans les faits, nous travaillions déjà avec les femmes mais nous n’avions pas conscience de cette dimension genre.

Aujourd’hui, nous la considérons comme une capacité technique et organisationnelle stratégique qu’il faut renforcer et renouveler constamment. Notre porte d’entrée : l’autonomisation économique et le leadership des femmes pour réduire les inégalités.

Q./ Concrètement, quelles formes peuvent prendre des actions genre auprès des bénéficiaires et des équipes Geres ?

A.B On commence par sensibiliser les équipes internes pour que chacun-e puisse s’approprier le concept, comprenne qu’il s‘agit d’une construction sociale qui diffère d’un pays à l’autre, qui peut évoluer avec le temps et qui dépend aussi de la perception de chacun-e.

Une fois cette notion comprise, nous travaillons ensemble pour identifier comment le genre conduit à des inégalités entre les hommes et les femmes, quels facteurs d’influence expliquent ces inégalités et comment il en résulte des contraintes pour les relations entre les femmes et les hommes.

A titre d’exemple, fin 2021, nous avons mené une étude sur les barrières à l’entreprenariat des femmes au Mali, au Maroc et au Myanmar, en partenariat avec une équipe de consultantes.

Lire aussi l’étude : stratégies d’intervention pour supprimer les barrières à l’entreprenariat des femmes

Nous savions qu’avec une meilleure compréhension des rapports hommes-femmes au sein des communautés avec lesquelles nous travaillons, nous serions mieux équipé-es pour identifier les opportunités d’amélioration et activer les leviers appropriés qui pourraient profiter à toutes et tous. 

Marina Dubois, Responsable Programme Inclusion et Energie, nous accompagne sur ces sujets. Elle co-construit notre stratégie genre avec les équipes locales et veille à ce que chacun-e d’entre nous s’approprie ces notions dans nos différents périmètres d’action.

« Intégrer une communauté genre et rencontrer des allié-es afin de partager des bonnes pratiques, des expériences, des réflexions et se soutenir face à la montagne qu’est la prise en compte du genre dans les organisations et les projets. »

Formation entreprenariat durable au Mali

Q./ Récemment, tu t’es portée volontaire pour te former sur ces enjeux d’inclusion dans le secteur de l’énergie. Peux-tu nous parler de cette formation et de tes objectifs ?

A.B La formation, dispensée par le F3E, réseau d’apprenant d’acteurs-trices de la solidarité et de la coopération internationale avait pour ambition de nous apprendre à « mesurer le genre pour transformer ses pratiques ».

Suivre ce type de formation était indispensable pour plusieurs raisons :

  • Avant tout, renforcer mes connaissances et contribuer à la valorisation de l’entreprenariat des femmes et l’amélioration de l’intégration du genre au sein du Geres et au travers de ses interventions,
  • Mais aussi, prendre du recul sur les projets dans lesquels j’interviens et bénéficier de nouvelles idées et outils permettant d’améliorer la qualité de mes appuis,
  • Intégrer une communauté genre et rencontrer des allié-es afin de partager des bonnes pratiques, des expériences, des réflexions et se soutenir face à la montagne qu’est la prise en compte du genre dans les organisations et les projets,
  • Et puis tout simplement, aller au-delà des données sexo-spécifiques et réaliser un vrai travail politique pour tenter de générer du changement, en s’intéressant aux inégalités, dynamiques de pouvoir en place et en considérant les systèmes de collecte de données comme des outils transformatifs.

Q./ On sait aujourd’hui que les femmes sont encore trop peu représentées dans le secteur de l’énergie.

Pourquoi, selon toi, la transition énergétique a particulièrement besoin d’être pensée avec des « lunettes genre » ?

A.B Les enjeux liés aux relations de genre sont étroitement liés à l’accès à l’énergie. Prendre en compte l’approche genre, c’est reconnaître que la différenciation sexuée des attributs, rôles et pouvoirs entraîne des discriminations dans l’accès à l’éducation, à la santé et aux ressources.

L’absence de prise en compte de la place des femmes dans le secteur énergétique, en tant que principales consommatrices, fournisseures ou décisionnaires, contraste beaucoup avec le poids de leurs responsabilités domestiques et leurs activités productives.

Q./ C’est-à-dire ?

Peux-tu nous donner un exemple qui montre justement que la place des femmes dans le secteur de l’énergie n’est pas toujours facile à prendre face au poids de leurs tâches domestiques assignées ?

A.B — Oui bien sûr. Par exemple, ce sont les femmes qui consacrent le plus de temps dans les foyers à l’approvisionnement en eau, à la collecte de combustibles pour la cuisson des aliments et du chauffage pour assurer la subsistance de leur famille.

On le sait encore trop peu mais ce sont encore les femmes qui sont les premières victimes des conséquences néfastes sur la santé des émissions de fumées liée à l’utilisation du bois et/ou charbon de bois. Pourquoi ? Car ce sont majoritairement les femmes qui cuisinent et non les hommes.

Enfin, à l’heure de la technologie, il faut savoir que le manque d’accès aux ressources et donc l’incapacité matérielle de s’informer et l’absence de formation à des métiers plus rémunérateurs, ferme toute perspective d’évolution et d’autonomisation pour les femmes.

Car oui, dans encore beaucoup de pays, les femmes n’ont pas accès à l’information.

Q./ Intégrer l’approche Genre au Geres, c’est donc assurer que l’on ne contribue pas à augmenter les inégalités et dans le meilleur des cas, que l’on parvient à les réduire, c’est bien ça ?

A.B — Oui complètement. Il s’agit aussi de convaincre que l’égalité des droits et des responsabilités et la participation économique et politique des femmes ont des effets positifs pour le couple, la famille, la communauté, le pays…

Pour le cas d’une ONG comme le Geres, la prise en compte du genre dans la transition énergétique nécessite d’agir à tous les niveaux :

  • La sélection des entrepreneures et le renforcement des capacités en gestion et management,
  • L’implication des femmes dans la conception des technologies pour s’assurer que leurs besoins et aspirations spécifiques soient entendus et que les solutions imaginées soient adaptées et adoptées durablement,
  • Mobiliser l’appui des femmes dans la diffusion des solutions et les promouvoir en tant que décideuses au sein des projets énergétiques, s’assurer de leur participation et faire en sorte que leurs voix soient entendues.

« Aller au-delà des données sexo-spécifiques et réaliser un vrai travail politique pour tenter de générer du changement, en s’intéressant aux inégalités, dynamiques de pouvoir en place et en considérant les systèmes de collecte de données comme des outils transformatifs. »

Formation entreprenariat femmes solutions énergétiques myanmar

Q./ Si tu devais me donner trois données à retenir sur le genre dans le cadre de l’entreprenariat durable, qu’est-ce que ce serait ?

A.B Premièrement, je dirais que le genre, c’est un peu comme deux jambes :

  • D’un côté, le plaidoyer transversal. C’est-à-dire arriver à convaincre tout le monde (collègues, partenaires, bénéficiaires) que c’est un axe de travail nécessaire et indispensable
  • De l’autre, les actions spécifiques : concrètes/précises adaptées aux différents contextes d’interventions de projet.

« Si les leaders et les maris sont impliqués sur l’avantage de renforcer les revenus des familles en favorisant la contribution économique des femmes, la communauté adoptera une attitude positive et aidante. »

Deuxièmement, toute équipe sollicitée doit, en amont, identifier clairement les effets négatifs que ses interventions genre peuvent induire et ses « backlash » (quand le groupe dominant réaffirme son pouvoir en refusant et agissant contre le groupe dominé) et intégrer une stratégie appropriée pour prévenir ces effets.

Q./ Quelle stratégie faut-il adopter justement face aux potentiels effets rebonds vus comme négatifs par l’entourage (mari, frère ou tout simplement proches) ?

A.B Typiquement, un projet d’appui à l’entreprenariat des femmes entraine une création de revenus pour les femmes entrepreneures.

C’est le cas d’ailleurs au Myanmar où l’on forme les femmes à devenir entrepreneures grâce à la commercialisation de solutions énergétiques durables dans les villages voisins sans ou peu d’accès à l’électricité.

 « La solution derrière, ça peut être tout simplement, aider les femmes entrepreneures à dégager du temps pour leur activité professionnelle en prenant en charge une partie des tâches domestiques. »

Dans certains contextes, si les maris ne sont pas impliqués dans l’aventure, ils pourraient se sentir diminués dans leur rôle de patriarches. Pourquoi ? Du fait de ne plus être les seuls à porter la responsabilité d’apporter des ressources au ménage et donc subir, ou du moins avoir peur de subir, le regard désapprobateur de sa communauté.

Si les leaders et les maris sont impliqués sur l’avantage de renforcer les revenus des familles en favorisant la contribution économique des femmes, la communauté adoptera une attitude positive et aidante.

La solution derrière, ça peut être tout simplement, aider les femmes entrepreneures à dégager du temps pour leur activité professionnelle en prenant en charge une partie des tâches domestiques.

« Si je parviens à comprendre comment les femmes ont réussi à s’approprier la formation, à acquérir de la confiance, du leadership, alors là je vais pouvoir me dire : banco, mon indicateur devient transformatif ! »

Q./ Comment penses-tu appliquer désormais ces mesures (du) genre dans ton métier de conseillère technique à l’appui entrepreneurial ?

A.B Aujourd’hui, je peux dire que je me sens renforcée en tant qu’alliée. Je vais pouvoir intégrer les outils et méthodologies dans mes appuis et systématiser dans l’ensemble de mes activités et relations professionnelles la prise en compte du genre.

Moi qui dispense beaucoup de formation à l’entreprenariat, je me dis que si je mesure seulement la parité lors des séances (nombre de femmes et d’hommes présents), mon indicateur sera neutre.

Tandis que si je me mets à mesurer la prise de parole par les femmes dans la formation, leur participation, mon indicateur devient sensible et si je parviens à comprendre comment les femmes ont réussi à s’approprier la formation, à acquérir de la confiance, du leadership, alors là je vais pouvoir me dire : banco, mon indicateur devient transformatif !

Lire l’article : l’entrepreneuriat féminin, source d’énergie en milieu rural au Myanmar

Lire aussi : les femmes, en première ligne de la bataille climatique

Formation entreprenariat femmes en mongolie

Q./ Y a-t-il un enseignement de la formation qui t’a particulièrement marqué que tu voudrais nous partager ici ?

A.B Qu’une collecte de données genrée parait simple à réaliser mais en fait, celle-ci est souvent facilement sabotée par manque de temps, de moyens financiers, par volonté d’aller au plus simple et de ne pas risquer de créer des tensions avec les partenaires opérationnels.

Et que la mise en lien de différents acteurs travaillant sur l’intégration du genre dans les projets est indispensable pour se nourrir réciproquement des différentes pratiques sur le sujet et partager des outils de collecte et d’analyse.

Autre point qui m’a paru pertinent : comprendre comment valoriser la connaissance et l’expérience située, c’est-à-dire : comprendre les stratégies de résistance locale pour les rendre visibles au même titre que les paroles dites d »expert-es » et rééquilibrer les rapports de pouvoir. Il est nécessaire de définir des actions réellement adaptées et éviter l’imposition d’une vision du genre occidentale !

Q./ En suivant cette formation, tu deviens finalement à ton tour une ambassadrice du genre au Geres.

Pourquoi est-ce important selon toi que les salarié-es s’emparent du sujet ? Quels sont les effets positifs derrière pour une organisation ?

A.B Pour moi, c’est indispensable que les salarié-es s’emparent des mécanismes de genre dans leur travail. Ça permet à toustes de requestionner notre matrice autant au niveau professionnel que personnel :

  • Quelle est ma place dans les espaces publics, professionnels, personnels ?
  • Quelle sont mes résistances ? Comment est-ce que j’agis, m’exprime au quotidien ?
  • Quelles inégalités, violences, agressions je subis ou je fais subir par manque de connaissances, de procédures, d’outils ? Car derrière, cela a un impact sur les relations interpersonnelles dans le milieu professionnel entre collègues, avec les partenaires, les bénéficiaires.

Je dirais également que comprendre et s’approprier l’approche genre c’est développer de la cohérence entre les engagements/chartes de valeur promus par les ONG et les actions concrètes de terrain.

Ressources pour aller plus loin :

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